Qu'est-ce que la féminité ?
Un essai de Miyamoto Yuriko - traduction
Un essai de Miyamoto Yuriko - traduction
Miyamoto Yuriko 宮本百合子(1899-1951) est une auteure japonaise féministe et prolétarienne. Née dans une famille d'intellectuels elle est sensibilisée très tôt aux différences de statuts et de conditions économiques. Elle étudie la littérature anglaise et son divorce à vingt-cinq ans lui inspira un roman semi-autobiographique qui devint un ouvrage de premier rang de la littérature japonaise moderne. Elle s'engage dans le Parti communiste où elle y défend la littérature et les mouvements féministes.
Texte original : publié sur Aozora Bunko 「おんならしさ」とは
A nous les femmes, quand est-ce que les termes de ‘féminin’ ou ‘non féminin’ cesseront de nous mettre mal à l’aise ?
La société japonaise aussi, s’est éloignée de l’idée qu’il est féminin de cacher son visage dans sa manche pour sourire, ou qu’il est féminin d’aller défaire les tatamis sans dire un mot au moment de donner une réponse importante. Pourtant, la ‘féminité’ revient sur le devant de la scène comme un lointain souvenir. Qui plus est, il revient toujours lorsque les femmes sont confrontées à des circonstances qui, d’une manière ou d’une autre, font progresser leur vie sur le plan social. Par exemple, quand les femmes ont obtenu le droit de vote, ici et là, on brandissait de nouveau la “féminité”. Combien les femmes qui se sont présentées aux élections ont insisté pour savoir “jusqu’où une femme est féminine” alors même qu’elles n’avaient pas l’intention de recueillir ne serait-ce qu’un vote des hommes et des femmes conservateurs. Ou encore elles ont déclaré douloureusement que “seules les femmes peuvent comprendre la douleur des femmes”. Ensuite, une fois élues, lors des cérémonies ou à d’autres occasions, leur ‘féminité’ est un sujet jusqu’à leurs vêtements. Combien cela est gênant pour ces femmes députées qui ont fait de la féminité leur slogan. Ces femmes ont confectionné un club de députés de la “féminité”. Féminines, elles préparaient et buvaient le thé, mais les intérêts du parti ont eu un réel effet sur leur féminité, en la détruisant. A ce moment, que disaient les critiques dans la presse ? Il leur ont ajouté l’expression “femmes malgré tout”. Mis à part au sein du parti communiste, les positions des femmes élues sont traitées en permanence comme celles de femmes inévitablement féminines ou bien comme éléments décoratifs.
Cette façon japonaise désuète de penser et de ressentir est antipathique envers les femmes et ont de sérieuses répercussions sur leurs vies.
On dit partout que les jeunes femmes ne ne deviendront pas ou qu’elles ne sont plus féminines à partir du moment où elles ont obtenu le droit de vote ou bien qu’elles se sont syndiquées. Même les personnes les plus perspicaces ont tendance à relier ces questions à un état d’esprit féminin.
Lorsqu’elles réfléchissent à qui donner leur vote, en effet, les dames sérieuses ne peuvent s’empêcher de sortir écouter des discours. Elles en parlent aussi la maison. Elles donnent leur opinion. Sur quels fondements peut-on dire que ce n’est pas féminin ? Ces joues vives d’enthousiasme sont sans aucun doute les douces joues d’une femme, et la voix forte qui argumente n’est sans doute pas celle d’un ténor ou d’une basse. C’est plutôt l’alto d’une femme, d’une jeune soprano. Même le poing qu’elle serre, une femme serre un poing de femme. Où se situe l’essence de la non-féminité ? Alors, ceux qui ne peuvent pas voir dans les femmes les discours vigoureux, l’émotion de l’action ou la bravoure, utilisent à l’inverse la ‘féminité’ comme une arme. Si leur opposante est prête à sortir de ses positions de dépit au point de laisser couler ses larmes, alors c’est féminin. C’est de l’hystérie, qu’ils disent. Jeanne d’Arc a été capturée et brûlée sur le bûcher par l’armée britannique après avoir coupé ses longs cheveux de jeune fille, revêtu une armure et enfourché son cheval afin de se battre pour la France. Son crime était un procès religieux pour s’être faite passer pour un homme et avoir porté atteinte au sexe féminin, qui lui avait été ordonné par Dieu.
Aujourd’hui, par différents points de vue, si quelqu’un avance qu’une ‘femme n’est pas féminine’, quel en est véritablement le motif ? Tout un chacun, en tant que membre de la société, en tant que femme, ne cherche-t-il par l’accomplissement du genre humain et féminin ? Où sont les revendications publiques féminines telles que l’ont peut les voir dans les syndicats de travailleuses ? Le travail des femmes est en tête des revendications de toutes les ménagères et toutes les étudiantes. En raison justement de leur féminité, parce qu’elles aiment et respectent leur genre féminin, les femmes s’élèvent aujourd’hui. Et c’est cela, la force et la simple beauté des femmes jusque dans leurs luttes, que nous devrions tous et toutes mettre en valeur du fond de notre cœur.
Novembre 1946
illustration: Izu A la Fondation des femmes, 2025