La voie de la femme nouvelle
Un manifeste de Ito Noé - traduction
Un manifeste de Ito Noé - traduction
ITO Noé 伊藤 野枝 (1895-1923) est une auteure japonaise féministe et anarchiste qui lutta pour les droits de la femmes, notamment l'amour libre. Ce texte virulent est un véritable manifeste en faveur de la libération sociale des femmes. Elle a travaillé pour Seito 青鞜, la première revue entièrement rédigée par des femmes au Japon.
Texte original : publié sur Aozora Bunko 新しき女の道
La femme nouvelle ne marche pas des heures à la recherche des traces qui la précèdent. Elle a sa propre voie de femme libre. Elle va plus loin que là où nombreuses se sont arrêtées et guide vers un nouveau chemin en tant que pionnière.
Ce nouveau chemin est encore ignoré de celles qui suivent ou de celles qui sont arrivées au bout. Il l’est tout autant pour les pionnières.
Ces voies nouvelles on ne sait ni où elles commencent ni où elles se terminent. Inconnu allant bien sûr de pair avec les dangers et les craintes.
Les pionnières de ces passages encore inexplorés doivent trancher les épines des ronces qui l’infestent pour avancer. Elles abattent de grands rochers et errent dans les profondeurs de la montagne. Piquées par des insectes venimeux, affamées et assoiffées, elles escaladent les cols, franchissent les précipices, traversent les vallées et se raccrochent aux racines des brins d’herbes. C’est ainsi qu’elles crient, prient et déversent leurs larmes à chaque blessures.
Les chemins méconnus et en friche s’étendent éternellement en silence, interminablement, ils s’étirent et s’étirent. Mais la pionnière n’est pas un être éternel. A force de lutter contre la douleur, elle s’effondre de souffrance, puis elle ne peut plus avancer. C’est alors que ses adeptes remarquent la force de leur guide et s’engagent sur ses traces fraîches. Et puis, pour la première fois, la glorifient.
Cependant, cette voie, ou les traces léguées, bien que sans précédent pour la pionnière, n’est nouvelle que pour elle. Pour ses adeptes, il s’agit déjà d’un sentier battu sans signification.
Alors une pionnière prend la place de la déchue, perpétue cette vie de douleur et s’avance sur la voie entrouverte.
Le terme « nouvelle » ne devrait être réservé qu’à un petit nombre de pionnières. C’est un mot qui ne devrait être attribué qu’à celles qui vivent et meurent dans la douleur, qui tracent leur propre voie en se connaissant et en croyant véritablement en elles-mêmes. Ce mot ne devrait en aucun cas être cédé à des suiveuses insouciantes comme insensées.
Une pionnière, c’est avant tout une confiance inébranlable. Vient ensuite la force. Vient ensuite la bravoure. Puis vient la responsabilité envers sa propre vie. Une pionnière ne laisse en aucun cas les autres interférer dans son travail. Elle ne fait pas de ses adeptes des alliés. Les adeptes n’émettront aucune critique envers les pionnières. Elle n’en sont pas autorisées.
Les adeptes ne peuvent qu’avoir de la reconnaissance envers les pionnières et marcher sur leurs traces. Elles ne savent pas comment aller de l’avant par elles-mêmes. Elles ne peuvent que marcher sur les pas des pionnières. Une pionnière a besoin avant tout autre chose de son propre accomplissement intérieur. Puis, elle prends lentement cette force et son courage accomplis, son inébranlable confiance et sa responsabilité envers elle-même pour s’élever.
Tant que la pionnière continue à faire œuvre de pionnière, il n’y a pas de soi-disant confort dans ce monde. Elle est seule du début à la fin. C’est la souffrance tout au long de son parcours. L’agonie. L’angoisse. Le désespoir souvent profond. La seule chose qui sort de sa bouche est une fervente exclamation de prières pour elle-même. Par conséquent, celle qui cherchent le bonheur, le confort et la sympathie ne peuvent pas être une pionnière.
Celle qui veut être une pionnière doit être une personne forte qui vit fermement par elle-même.
La voie de la femme nouvelle, en tant que pionnière, n’est-ce pas après tout, rien d’autre qu’une série d’efforts acharnés ?
illustration: Izu, tirée d’une gravure de Takamura Chieko faite pour la revue Seitō (Les bas bleus)